Bangkok, 16 Août 2007
Me voilà de nouveau à Bangkok, dans cet hôtel où je suis venue de si nombreuses fois (c’est la 4ème fois que je viens en trois ans ici), appelé « Miracle Grand » (et non pas « Grand Miracle ») ce qui vous en conviendrez, est un présage étonnant pour moi et le contexte dans lequel je me trouve. C’est bien d’un grand miracle dont nous avons besoin, Dominique et moi, pour faire aboutir tous nos projets et surtout celui d’agrandir notre famille !
Je commence à le connaître par cœur, cet hôtel, ainsi que tous ses coins et recoins. Il n’a pas changé depuis la dernière fois, en décembre dernier. Aussi kitch : le goût des Thaï pour tout ce qui est représentation du Bouddhisme, avec les inévitables votos dédiés à Bouddha, les décorations de carton-pâte, les innombrables aquariums et les fontaines, dans l’immense hall. Ce qui change, c’est que d’habitude je viens en période de fin d’année (Noël) et d’immenses sapins illuminés décorent le grand hall d’entrée. Je suis toujours accueillie par une nuée de chasseurs en tenue à l’entrée, et ils semblent me reconnaître à chaque fois. En tous cas ils me sourient, d’un sourire certes commercial (dans « le pays du sourire » on peut penser qu’il est naturel) mais qui fait plaisir quand on arrive ; on a un peu l’impression d’arriver chez soi. Et j’en ai bien besoin, de cette sensation de familiarité, car je me sens si loin, précisément, de chez moi et si seule, alors qu’il y a à peine huit jours (une éternité) nous revenions tous les quatre de San Diego…
Donc, cet hôtel n’a pas changé, et les lieux non plus. Je retrouve très rapidement toujours le même rituel : lever très tôt le matin, (je suis l’une des premières à prendre le petit-déjeunerà un déjeuner assez original car je commence par des sushis, de la soupe miso et du raifort (il faut avoir très faim, ce qui est mon cas étant donné que la veille on mange très tôt mais j’adore tant la cuisine japonaise) ! Puis je me gave de fruits exotiques, autorisés par mon régime perpétuel (j’essaie tout de même de profiter du fait que je n’ai pas à faire la cuisine pour me mettre à un régime spécial et j’ai constaté que ça marche car chaque fois que je suis venue ici (généralement pour deux semaines) j’ai perdu deux ou trois kilos, comme quoi les sushi ça ne doit pas peser bien lourd et le riz vaut mieux que le pain et les pâtes ! Quant à l’alcool, comme je n’en bois pas du tout quand je suis ici, je ne risque pas Le café étant infâme, je me mets aussi au thé, bref, je change toutes mes habitudes alimentaires et apparemment cela me réussit..
Rajoutons à cela que je mange à des heures plus orthodoxes (jamais avant de me coucher en tous cas) et je fais de la natation presque tous les jours, une heure de détente que je m’accorde en rentrant du travail l’après-midi. En ce moment c’est très agréable car il fait très chaud, beaucoup plus chaud qu’en décembre évidemment et il est fort agréable d’aller à la piscine par cette chaleur. D’ailleurs il y a pas mal de monde, et je passe mon temps à nager, cela me permet de me concentrer : c’est peut-être même le moment où mon cerveau carbure à plein régime (l’effet de l’effort sportif, sans doute, ou les endorphines qui se déclenchent) enfin bref cela me donne un bien-être fou et me console d’être ici, à des milliers de kilomètres de ma famille.
Enfin, j’exagèrerais si je disais que je suis à plaindre, ce sont aussi des moments où je peux méditer à loisir, où je n’ai aucune autre contrainte que celle du travail (plutôt cool, depuis le temps je finis par le connaître très bien !) et de la préparation des cours ; qui doivent varier à chaque fois et que je dois adapter aux élèves à leur niveau de langue (peu parlent parfaitement l’anglais) et à leur pays. Cette fois, le niveau n’est pas homogène et il y a des gens qui viennent du Vietnam, de Thaïlande évidemment, mais aussi du Laos, du Bouthan, d’Afghanistan, du Japon, du Myanmar et du. La dernière fois, j’avais des élèves qui venaient de Vanuatu et des îles.
Je trouve donc quelques avantages à être ici, avec seulement moi à m’occuper, et cette fois-ci je n’ai même pas de mal à trouver le sommeil (peut-être un effet du décalage horaire de San Diego, dont je n’ai pas eu le temps de me remettre) car je tombe d’inanition dès 20 heures et je ne me réveille pas dix fois la nuit comme les autres fois. Peut-être est-ce parce que je rentre tout juste d’un mois de vacances, et donc que je suis plutôt détendue ? Et puis après les pérégrinations et le stress qui ont accompagné notre projet à San Diego, je trouve qu’ici est un havre de paix.
Je n’ai nulle envie de me rendre dans le tumulte de la ville, cet isolement et éloignement du centre ville, des trépidations du centre me vont très bien ; serais-je devenue philosophe avec le temps ? En tous cas je ne ressens nul besoin de sortir, au contraire, je me terre dans ma chambre (qui est tout de même assez grande, avec de grandes baies vitrées donnant sur le nœud autoroutier et l’enchevêtrement des échangeurs qui donnent une impression de ballet incessant des véhicules multicolores, qui grouillent et me rassurent, du haut de mon neuvième étage. De plus, cette fois ma chambre est une chambre d’angle et les baies vitrées donnent sur trois côtés, ce qui me donne l’impression étrange d’être dans la rue, n’étaient les doubles vitrages qui atténuent le bruit incessant des voitures. J’ai de la chance car cet hôtel est situé près de l’ancien aéroport (qui est maintenant uniquement dédié au trafic domestique) et dans un quartier où se côtoient l’ancien et le modernisme effréné avec des tours et des bâtiments de béton et de verre d’un côté, et des rivières avec des cabanes en bois de l’autre.
La civilisation et l’urbanisme effréné n’ont pas réussi à prendre le pas sur ce coin de Bangkok, où les maisons, agglutinées les unes contre les autres et où l’on se demande comment elles ne sont pas déclarées insalubres et comment les gens font pour y vivre, tant elles paraissent démunies de tout. Du haut de mon étage, je peux observer à loisir les gens aller et venir comme dans une fourmilière. Savent-ils qu’ils sont épiés, et que chacun de leurs faits et gestes doivent être disséqués par les nombreux touristes qui doivent se livrer au même passe temps que le mien ? Je ne puis m’empêcher de penser au film de la fille de F.Coppola, intitulé « Lost in translation » où l’ennui dans lequel sont plongés deux hôtes de l’hôtel les rapprochent.
Mais ici je n’ai personne avec qui partager mon ennui, et Dominique au dernier moment a choisi de ne pas venir me rejoindre, alors que je pense qu’il aurait adoré venir ici et que cela lui aurait fait beaucoup de bien, mais la raison a pris le dessus (hélas) et il préfère garder ses jours de congés pour notre hypothétique voyage à San Diego. En cela il est beaucoup plus raisonnable que moi : pour ce qui me concerne, à sa place j’aurais privilégié le court terme et le plaisir plus que le plus long terme, en me disant que ce serait toujours cela de pris..
Mais lui est terriblement planificateur et pense que cela aurait été perdre son temps, son argent et ses jours de congés pour quelques jours de repos et d’éloignement. Et pourtant, je pense qu’il faut recharger chacun nos batteries de notre côté et faire le plein, car ce qui nous attend à la rentrée n’est pas de tout repos (bien que lui les recharge à la maison où il est tout seul) !
Comme l’année dernière, nous avons des tas de challenges à relever, dont sa candidature aux Municipales n’est pas des moindres, mais aussi et surtout le Jugement qui devrait intervenir fin septembre, et auquel je préfère ne pas penser pour le moment, tant j’essaie de ne pas me faire parasiter par mes problèmes habituels.
Mais ici je me sens si loin de tout, et même de moi-même. Si j’ai de la peine de ne pas voir mes filles, je ne parviens pas à être déprimée et au contraire je trouve dans cette parenthèse du réconfort, l’impression de me retrouver un peu moi-même. En dehors des cours, je peux faire ce que je veux et même rien, ce que je m’applique d’ailleurs à faire avec soin moi qui pourtant suis hyperactive et qui ne supporte pas de rester sans rien faire : ici, comme tous les asiatiques, j’attends que le temps passe, et même si rien ne se passe.
Le seul repère dans mon emploi du temps est que samedi je sais que mes amis André et Payom vont rentrer, et je suis invitée chez eux.
Mais il est doux de se faire prendre en charge : ici, je n’ai à penser à rien, sauf deux fois par jour à téléphoner à Dominique, et puis aux enfants, afin d’avoir de leurs nouvelles respectives…
J’ai l’impression agréable de m’enfoncer dans une sorte de torpeur, accentuée par le fait qu’il faut très chaud. J’éteins toujours la climatisation quand je rentre dans ma chambre, non pas par souci pour la planète mais parce que je déteste l’air conditionné et le contraste avec la chaleur extérieure, et que j’adore cette chaleur qui me pénètre par tous les pores de la peau : d’ailleurs, cela contribue certainement à me faire maigrir cet « effet sauna » car la nuit je transpire énormément, et je dors sous la couette (eh oui). Rien ne m’y ferait renoncer, et je me plonge avec délices dans cette chaleur moite, qui n’est pas sans rappeler celle du que le bébé doit ressentir avant la naissance.
Donc, les journées sont ponctuées par le petit-déjeuner, ensuite le chauffeur vient me chercher à 8heures car les cours commencent à 8H30 et se terminent à midi. Durant la coupure du repas, je reste dans la salle de cours, et j’en profite pour surfer sur Internet tandis que les élèves se rendent à la cantine : personnellement, je préfère ne pas déjeuner et je reste là, en attendant leur retour. Généralement la moiteur des lieux fait que je somnole un peu et m’installe sur le canapé du couloir, puis je me ressaisis et je prends un café, un nescafé plutôt, le seul breuvage buvable en ces lieux….
Après la fin des cours, généralement à 16H00, le chauffeur me ramène à l’hôtel et ainsi commence ma seconde journée ; si je n’ai pas de cours ou de présentation à préparer, je me rends à la piscine, où je nage une heure environ, avec mon masque, sous les yeux intrigués des Thaïlandais mais surtout des autres touristes, qui restent allongés sur les transats. Puis je me sèche et je me rends au Business Centre (car je n’ai pas pu me connecter à la WiFi), si besoin ou alors je vais directement dîner, oui à 18H00 car ici les gens commencent très tôt à dîner.
Il y a trois restaurants dans cet hôtel, et j’alterne selon mon humeur : un buffet local, un japonais et un chinois. Ce soir ce sera le restaurant Buffet, avec « cuisine française » comme l’annonce la pancarte, et la décoration du buffet, assez impressionnante ! Mais en fait la plupart des aliments sont thaï, et seul un coin du buffet offre quelques plats français : ce soir, magret de canard, mais qui a un étrange goût de carton quand on le mâche, avec des pommes de terre au four (délicieuses) et des légumes grillés (pas assez cuits à mon goût). Des crèpes au dessert, mais je me garde bien d’en prendre, leur préférant les innombrables fruits exotiques dont je me repais matin et soir, mangues, ananas, bananes, litchis, et autres fruits locaux dont je ne me souviens pas le nom mais qui sont doux au palais et âpres sous la main.
Ainsi, à 19H00 je peux remonter dans ma chambre et appeler mon époux, ou mettre de la musique, ou bien allumer la télé sans la regarder (surtout depuis que l’on ne capte plus aucune chaîne française, pas même TV5 Monde, quelle déception !). Le fait d’être autant coupée du monde ne me dérange pas plus que cela, surtout en plein été : je me dis qu’il ne doit pas se passer grand-chose, la plupart des gens étant encore en vacances… Je n’ai aucune connexion avec le monde extérieur, à part mon téléphone portable, mais personne ne m’appelle en cette période de vacances, pas même mon mari, qui attend que je le fasse moi-même. Je n’ai pas d’accès à Internet dans ma chambre, et de toutes façons cela coûte trop cher (15 dollars par jour) aussi cher qu’aux USA alors que l’on sait que cela ne coûte rien (mais que fait donc le régulateur ?)!
Puis je m’installe à mon bureau et j’écris, enfin … je tape, et finalement je mets un film (j’ai apporté heureusement pas mal de DVD français) et quand le sommeil me prend, quelques heures plus tard, je me force alors à faire un peu de gymnastique pour digérer mon repas, je bois un thé, une eau minérale ou un coca light et hop, je me remets au lit, comme si j’avais fait des efforts surhumains ! Oui, d’aucuns appelleront probablement cela de la fainéantise, mais pour moi c’est l’occasion de me repaître (certains diraient « cocooner ») de cette paix intérieure qui m’habite (non, je ne deviens pas bouddhiste ni contemplative, loin s’en faut) mais je tente de profiter de ces heures qui me sont offertes pour penser à moi, à ma famille, ou à rien tout simplement car je n’en ai pas l’occasion le reste de l’année !
Et dans ces occasions, je bénis la chance que j’ai de faire ce travail, qui me permet de m’éloigner un peu, de prendre de la distance avec le quotidien trépidant, stressant, angoissant, de Paris… et avec les soucis petits et gros de la vie quotidienne, et sa routine lancinante. Et je me dis qu’il faut en profiter, et que je n’ai pas le droit de me plaindre de ma solitude forcée mais n’y voir que les côtés positifs.